L’investissement local face au tournant de la rigueur budgétaire

Le gouvernement, à la recherche d’économies budgétaires pour 2024, compte faire participer les collectivités locales à l’effort de réduction des déficits.

Dans son programme de stabilité 2024-2027, le gouvernement fixe ainsi un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités de 0,5 point sous le niveau de l’inflation soit +1,9% en 2024 et +1,1% en 2025 avec une hypothèse de hausse des prix fixée à +2,4% et +1,6%. Cet objectif est toutefois non contraignant pour les collectivités à ce stade. La prévision pour l’investissement des Administrations Publiques Locales (hors Société des Grands Projets) reste dynamique en 2024 à +7,5% en lien avec le cycle électoral mais se limite à +1,2% en 2025 en décalage cette fois avec une année post-électorale habituellement en forte croissance.

En autorisations d’engagement, les 2,5 Md€ du fonds vert prévus en loi de finances sont ramenés à 2 Md€ avec, d’après une circulaire du 4 avril adressée aux préfets une mise en réserve de 7% de cette somme, soit 140 M€ supplémentaires potentiellement annulables. Il est par ailleurs demandé à ces préfets d’être :

• plus stricts dans l’attribution d’aides à l’éclairage public (cette mesure représentant 23,5% des projets aidés en 2023 d’après un dossier de presse du ministère de la transition écologique),
• de limiter le cumul avec d’autres aides publiques (DETR, DSIL…) afin de maximiser l’effet de levier,
• de limiter le versement des avances avec un taux maximum de 15%.

Il a également été annoncé un gel des crédits de paiement du fonds vert de 430 M€ en 2024 et plusieurs sources ont évoqué un possible surgel de 430 M€ supplémentaires.

Les associations d’élus sont opposées à toutes contraintes sur leurs dépenses. Elles mettent en avant le faible poids de la dette locale et sa stabilité (environ 8%-9% depuis les années 80). Les situations financières sont par ailleurs diverses selon le type de collectivités.

Avec des indicateurs financiers globalement solides, les collectivités du bloc communal semblent en capacité d’absorber un effort supplémentaire. Il s’agit toutefois d’un constat global qui mérite d’être nuancé.

• L’épargne brute a fortement progressé en 2023 : +8,8% pour les communes et +12,2% pour les intercommunalités d’après la dernière situation mensuelle comptable des collectivités. Une note d’intercommunalités de France souligne ces bonnes performances tout en insistant sur la diversité des situations.
• Le niveau de trésorerie se maintient à un niveau important. Une analyse de La Banque Postale apporte les précisions suivantes :
  • La trésorerie est la plus importante et progresse le plus dans les petites communes : 360 jours de dépenses dans les communes de -250 habitants (+117 jours entre 2010 et 2022) mais seulement 23 jours de dépenses dans les communes de +100 000 habitants (+1 jour entre 2010 et 2022) ;
  • La trésorerie subit un effet cycle, elle s’est tassée en 2013 et 2019 en fin de mandat municipal en lien avec une progression des investissements, elle se réduit à nouveau en 2023 conséquence de la hausse des taux d’intérêt et du besoin de marges de manœuvre financières pour investir ;

Plusieurs facteurs expliquent l’accumulation de trésorerie ces dernières années : l’incertitude sur les recettes (baisse et stagnation de la DGF, réforme de la fiscalité locale, perte de levier fiscal…) et des événements difficiles à anticiper à et gérer (Crise Covid, crise énergétique et retour de l’inflation) qui ont conduit à une certaine prudence, des années de taux très bas qui ont amené à des emprunts de précaution, des provisions obligatoires plus importantes…

La situation budgétaire des départements est plus délicate que celle du bloc communal. Leur épargne brute a plongé en 2023 (-40%) en raison de la chute des droits de mutation (DMTO). Si leur trésorerie a pu être mobilisée pour maintenir l’investissement en 2023, qu’en sera-t-il en 2024 alors que son niveau a été divisé par 2 en 18 mois ? La crise immobilière se poursuit et les DMTO sont toujours en fort recul. Sur le 1^er trimestre 2024, la baisse atteint toujours -26%.

Certains départements (Aisne, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique…) déclarent être prêts à revoir leurs budgets votés plus tôt dans l’année en raison de recettes insuffisantes. Cela pourrait également avoir un impact immédiat sur les subventions versées par les conseils départementaux : elles sont souvent la première variable d’ajustement. Or, elles sont souvent indispensables, notamment pour les projets des petites communes en zone rurale. A terme, sauf à recourir plus massivement à l’endettement, c’est l’ensemble des dépenses d’entretien et d’investissement des départements qui sont menacées par cette dégradation.

L’effort de rigueur budgétaire entre en conflit avec le surcroit d’investissement demandé aux collectivités pour financer la transition écologique. Les collectivités doivent en effet faire face à des injonctions contradictoires : dépenser moins pour réduire les déficits vs dépenser plus pour atteindre les objectifs de la transition écologique. Le signal envoyé par l’Etat semble reléguer cette dernière au second plan derrière les impératifs budgétaires. Limiter la capacité à investir des collectivités (contraintes budgétaires, baisse du fonds vert…) alors qu’elles réalisent 70% de l’investissement public civil avec des effets d’entraînement sur le tissu économique de leur territoire, dans un contexte de réduction de la prévision de croissance française semble, en outre, un curieux calcul à moyen terme.